La légende de Kronos - Kronoscopie

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La légende de Kronos

À moins d’avoir passé toute l’année 2011 enfermé dans un bunker sans accès à Internet, tous les amateurs de synthétiseurs savent que le Kronos est le successeur de l’Oasys. Ce qui est moins connu, c’est que ce dernier n’est pas non plus apparu ex nihilo et qu’il fut le fruit d’un développement qui aura démarré au tout début des années 90. Encore moins connu est le fait que l’Oasys et le
Kronos ont pour ancêtre non pas un clavier, mais un tambour ! Revenons en arrière...

Dans les années 70 et 80, Sequential Circuits était l’un des fabricants les plus à la pointe du développement des synthétiseurs. SCi joua notamment un rôle essentiel dans la mise au point de la norme MIDI. Passons sur les raisons qui font qu’un beau jour de 1987, SCi met la clé sous la porte et vend ses actifs à Yamaha. La même année, Yamaha prend également une participation majoritaire dans la société Korg. On comprend donc pourquoi se crée alors une sorte de pollinisation croisée du personnel, qui fait que certains anciens de chez SCi se retrouve chez Korg, au département R&D, dont John Bowen et un jeune et brillant ingénieur appelé Steve O’Connell. Ce dernier avait travaillé sur des algorithmes de modélisation physique et avait créé un programme appelé Drag, synthétiseur modulaire numérique, qui permettait d’assembler des blocs de construction comme le font aujourd’hui les synthétiseurs modulaires VSTi. À l’époque, le programme ramait, car la technologie informatique n’était pas suffisamment avancée pour lui donner la puissance de calcul nécessaire. Steve commença alors à travailler sur une nouvelle version de Drag, utilisant le Macintosh comme plate-forme de développement. Ses travaux donnèrent naissance à SynthKit.



Création d'un algorithme dans SynthKit avec assemblage de blocs

Dans l'exemple ci-contre, l'algorithme émule un son de corde pincée. Chaque bloc comporte une ou plusieurs entrées (carrés ouverts à gauche du bloc), des sorties (carrés pleins à droite) et des entrées de commande (carrés ouverts sur le dessus). Chaque bloc peut être nommé et le nombre qui précède le nom indique l'ordre des opérations dans le code compilé. SynthKit était un programme très en avance sur son temps. Le seul autre programme équivalent à l'époque était TurboSynth de Digidesign, mais ce dernier n'offrait pas les mêmes capacités de contrôle en temps réel de SynthKit. Avec une carte Audiomedia III, nous étions alors à la pointe du développement au début des années 90.


Panneau de contrôle de SynthKit

Une fois le code de l'algorithme compilé, les curseurs de commande qui sont placés dans un algorithme de SynthKit se retrouvent dans un panneau de contrôle (figure ci-contre). Ces curseurs peuvent être déplacés lorsque des notes sont jouées, ce qui permet de modifier le son en temps réel.

Le problème de la lenteur du programme subsistait alors, jusqu’à l’introduction de cartes DSP installées sur les ports d’expansion du Macintosh. À partir de ce moment-là, SynthKit devient véritablement utile, car les ingénieurs du R&D ont en leur possession un outil qui leur permet d’entendre en temps réel les résultats de leur programmation. Commence alors le développement d’un clavier appelé Oasys, acronyme d’ Open Architecture Synthesis System (système de synthèse à architecture ouverte) reposant sur SynthKit. Néanmoins, le premier instrument à tirer partie de cette nouvelle technologie Korg de modélisation physique fut le WaveDrum. Un tambour donc, et non un clavier !

Wavedrum


Les ingénieurs du R&D se rendirent vite compte de l’avantage de SynthKit et des cartes DSP pour le développement futur des synthétiseurs, en raison des avantages procurés par une solution logicielle tournant sur des DSP, et maniable à souhait, plutôt que de mettre en œuvre une solution matérielle à base d’ASIC, développée pour des applications bien particulières et non modifiables. Au début des années 90, tous les synthétiseurs commercialisés utilisaient des solutions propriétaires, analogiques ou numériques. L’idée radicale du R&D Korg devint donc le projet Oasys. Cette même année, 1990, Dan Phillips, qui deviendra responsable du projet Oasys, rejoint également le R&D Korg. Les premiers prototypes de l’Oasys faisaient appel à des DSP propriétaires, les modèles commerciaux n’offrant pas encore l’étendue des fonctionnalités requises. L’équipe du R&D travailla environ 4 ans sur la mise au point de la technologie. Durant ce temps, les premiers exemples de son application jetèrent les bases de la modélisation servant à produire des orgues Hammond, des synthétiseurs analogiques, etc. Les résultats étaient impressionnants au niveau sonore, mais le coût était encore trop élevé pour pouvoir mettre en chantier la fabrication d’un clavier. Le clavier Oasys fait son apparition au WNAMM 1994, puis au Messe 95, mais l’étude de marketing prédisant un prix de vente aux alentours de $10.000 fait que le projet est mis en sommeil.


Prototype de l'Oasys

En revanche, cette technologie de pointe fit son apparition dans un certains nombres de produits Korg, dont le Prophecy, le Z1 (et la carte Moss qui suivra), le Wavedrum, les Electribes et la série MS. Les premiers produits à véritablement intégrer et utiliser la technologie de modélisation du projet Oasys virent le jour du fait que Korg avait en sa possession un grand nombre de DSP qu’il fallait bien utiliser. Une partie de ces DSP servit à la fabrication du Wavedrum, l’autre partie étant utilisée avec la carte audio pour MacOS et Windows 95 appelée 1212 I/O, dont les travaux de mise au point servirent de base à ce qui deviendra la carte PCI Oasys.

Oasys PCI  


Même si le projet d’un clavier
Oasys n’était plus d’actualité, les travaux de R&D se poursuivirent, d’autant plus que cette technologie était désormais présente dans des produits commercialisés, dont la carte Oasys PCI en 1999. Les ingénieurs Korg continuaient donc à réfléchir aux moyens de permettre la commercialisation d’un clavier Oasys à un coût suffisamment bas pour mettre en chantier sa production. Et c’est la raison principale qui fit que l’équipe du R&D se pencha sur la possibilité d’utiliser son code sur la plate-forme Pentium, bien moins chère que des DSP en raison des économies d’échelle réalisées. Le code de SynthKit et les algorithmes de l’Oasys furent donc réécrits afin de pouvoir tirer avantage de l’architecture du Pentium. D’autres nouveautés virent le jour, comme l’affectation dynamique des voix entre les différentes synthèses, le gros morceau du travail de développement. Mais toujours pas de clavier Oasys à l’horizon. Entre temps, Korg mit sur le marché d’autres machines, dont le concept Karma, un Korg avec moteur du Triton muni d’un logiciel développé par Stephen Kay, permettant d’appliquer des algorithmes de composition complexes via MIDI.

WNAMM 2005 et plus de 10 ans après avoir dévoilé le prototype
Oasys, cette fois-ci, c’est la bonne, l’Oasys est présenté aux journalistes, aux professionnels de l’industrie et au grand public, avec un prix fixé à $8.000. Pas franchement abordable, mais pas rédhibitoire non plus.


Oasys commercialisé

L’
Oasys 2005 utilise donc une carte-mère de PC, un processeur Pentium 4 et le système d’exploitation Linux. Ces aspects de la machine ont alimenté des pages et des pages de discussions dans les forums. Mais pourquoi Korg se met à produire des PC... Ce n’est plus un synthétiseur mais un PC, etc. Dan Phillips donne la réponse de la décision sous-jacente à l’usage des ces composants en précisant que le fait d’utiliser un OS déjà prêt et stable a permis de gagner beaucoup de temps, de donner priorité à la mise au point des moteurs de synthèse et à leur interaction, ainsi qu'à l’assemblage des divers composants du système. Et comme il fallait faire tourner Linux, un processeur et une carte-mère de PC étaient donc requis.

L’
Oasys aura ainsi connu un certain succès, mais son prix le destinait plutôt à se cantonner à un marché relativement confidentiel. La grande majorité des utilisateurs attendait son successeur, espérant bien que ce dernier se situerait plutôt dans la tranche habituelle des tarifs applicables aux workstations Korg et à celles de la concurrence. Six ans plus tard et c’est chose faite avec le Kronos, machine qui reprend les fonctionnalités de l’Oasys, ajoute certaines nouveautés, mais avec des contraintes de fabrication et d’équipement permettant de maintenir un prix de vente en rapport avec des volumes de vente plus conséquents. Il se sera donc écoulé près de 21 ans entre les prémices de la modélisation physique Korg et sa mise en œuvre dans le Kronos. L'âge de la plénitude ! Et au WNAMM 2011...



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